mardi 18 août 2015

1. - Paris-Pékin

Bon, c'est vrai, le départ est un peu laborieux. Heureusement Odile me propose de me conduire à l'aéroport.
Les ennuis ne font toutefois que commencer, aucune indication pertinente sur la marche à suivre excepté des bornes de pré-enregistrement assaillies par une foule de vacanciers à la dérive. Je tente ma chance au guichet clientèle d'Air France, y perd une nouvelle demi-heure, me fait embarquer dans une approximation de guichet, puis d'un autre, l'incompétence touche à son paroxysme lorsque qu'enfin une personne responsable du staff me conduit à l'autre bout de l'aéroport, m'indiquant en chemin que je suis sur liste d'attente... Je ne me suis jamais vu aussi près de rater un avion, on favorise ma prise en charge à l'évocation d'une éventuelle classe business, certainement pas la meilleure affaire de ma vie au vu de ce qui va suivre... fin du premier acte.
Confortablement installé, bien nourri et abreuvé, par choix, d'eau claire (sinon il y avait de tout, du champagne à la poire williams) le programme ciné m'offre un divertissement franchouillard et plat qui me permet de m'endormir sans regret. Petit déj et arrivée comme prévu malgré un retard au décollage de pas loin d'une heure. Le vent était avec nous mais pas tous mes effets, car après une demi-heure d'attente à la remise des bagages de grandes tailles j'apprends par SMS que le tube contenant tous mes pochoirs est resté à Paris, bonne ambiance ! Si on tient vraiment à voir le bon côté des choses, ce sont toujours en moins d'éventuels problèmes à la douane, je ris jaune (elle est nulle mais il fallait que je la fasse !).
Une charmante autochtone me permet de prévenir Lin, l'assistante du curateur, de mon arrivée à l'aéroport de Pékin et des raisons de mon retard, manquerait plus que le bus qui doit nous mener à cinq cents kilomètres d'ici ne parte sans moi...
Que nenni, seul Stinkfish est à bord, les autres seront là dans l'après-midi. Installation dans un bon hôtel de la périphérie, douche, déjeuner et sieste réparatrice s'imposent.
Tinho et Mario Belèm arrivent vers 17 heures, bonne prise de contact avec ce gars sympathique dont nos travaux respectifs se sont croisés lors de la tour Paris 13 et Djerbahood.

Petit matin, quartier du sixième périphérique de la fenêtre de la chambre d'hôtel
Dîner et au lit pour passer une nuit, comme un bébé : réveillé toutes les deux heures ! A 1 h 17 je reçois un message d'Air France, mon bazar est dans le vol AF 328 et présentement à 10000 mètres d'altitude, il arrivera vers 15 h 20 ce qui m'arrange bien vu que nous partons, dès le petit-déjeuner avalé, vers Xu Cun ! Mes pochoirs arrivent mais le rêve de les récupérer aujourd'hui s'envole...


2. - Sur la route de Xu Cun

Et oui, j'avais envisagé une galère avec le matos mais pas celle-ci... J'ai donc dans mes bagages à main vidéo projecteur et fichiers pour pouvoir, sans pochoirs, travailler en grand sur les murs ... bien vu l'aveugle !
De gauche à droite : Stinkfish, Tinho,
 Qi Yan, Mario Belèm et ma pomme
Ça me permet d'aborder plus décontracté le voyage dans un bus flambant neuf sur un ruban de bitume du même acabit. Tout au long de la route nous verrons la mise en place d'une vraie politique de reforestation. La première partie du voyage se passe plutôt bien avec une durée totale de parcours estimée à 6 heures... En route nous passons sous un viaduc qui relie... la Grande Muraille, vision fugace mais intense d'un long cordon sinuant le long des crêtes. Une halte me permet de rentrer en contact avec mon premier chien chinois, une espèce de chien loup, un tas de poils pas très net qui me lèche illico les gambilles, sympathique. Le voyage se passe pour le mieux lorsque patatras, nous voici bloqués en plein élan par une foultitude de camions (j'aime bien celui avec Mao à la portière) sur des kilomètres, enfin pas tant que ça de kilomètres mais alors question moyenne, ça déguste !

L'explication en revient à une voie neutralisée par des travaux et deux patates qui se sont frotté les ailes, l'un ne voulant pas laisser passer l'autre et lycée de Versailles... Ces handicapés du bulbe restent scotchés sur la file de gauche comme des poules regardant un rasoir, affligeant spectacle ! Ce retard génère un nouvel arrêt pipi, perso j'aime bien leurs kitschissimes urinoirs collectifs.

Nous avalons les cent derniers kilomètres jusqu'à une étrangeté infrastructuelle : la mise en place d'une chicane qui étroitise la deux voies pour ne laisser passer que les petits gabarits (j'obtiens une vague réponse quant à la sauvegarde de singes montagnards protégés...). Qu'à cela ne tienne, les policiers présents conseillent au chauffeur de prendre l'autoroute dans un contre-sens non matérialisé après une petite marche arrière et hop, le tour est joué, il suffit de klaxonner dans les virages sans visibilité ! Il est 17 h 30 et une pancarte indique Xu Cun (se prononce tsou tchoun) nous sommes enfin arrivés et alors là...

3. - Arrivée à Xu Cun

Nous arrivons à destination avec beaucoup de retard mais une foule impatiente nous attend. Je suis à côté du chauffeur et c'est très "émotionnant" de voir tous ces gens nous faire signe de la main le sourire au beau fixe. La troisième édition de ces rencontres artistiques internationales est évidemment un événement dans ce petit village de Xucun. La rue principale est bordée des deux côtés de familles et ce n'est rien en comparaison de ce qui nous attend sur la place.
Tout le village est de sortie, nous sommes l'attraction, de nombreux journalistes prennent photos et vidéos, les enfants en rang d'oignons portent des pancartes de bienvenue, d'autres, nos hôtes, celles avec nos noms. Tout cela est bon enfant et pas oppressant, voire plutôt décontracté.
Après un bon moment de salutations diverses et de formalités administratives, nous rejoignons nos hôtes. Nous sommes logés chez l'habitant, regroupés par nationalité.


Je me retrouve avec Marc, un vieux gauchiste du mouvement du 22 mars ayant fait en stop la route de Katmandou en 68 et Régis un photographe plus jeune très sympathique. Tous deux vivent en Chine depuis plusieurs années et c'est très intéressant d'entendre parler de leur vécu sur place. La narration est très positive et mes impressions en ce début d'expérience ici ne font que la confirmer.
Régis à gauche et Marc
Ce peuple est dès le premier contact accueillant, souriant, démonstratif, rigolard et épicurien. Ils aiment lever le coude et sont obnubilés par la bouffe. Ils ont le contact physique aisé et ne semblent pas coincés contrairement aux idées reçues, bref c'est une vraie chance d'être ici et de vivre ces moments pleins d'émotion. C'est d'ailleurs un sentiment partagé par l'ensemble des artistes étrangers participants. Après un dîner délicieux nous regagnons nos pénates pour un repos bien mérité. Demain c'est dimanche et l'ouverture officielle du festival...

4. - Dimanche à Xu Cun

Avec Lin et Qi Yan, le curateur,
expliquant mon sketch
Dimanche 3. - Après un petit-déjeuner à la chinoise : légumes, pâtes de riz, saucisses, soupe c'est le moment d'aller en repérage vers les "spots" destinés aux street artistes. Question murs c'est plutôt portion congrue, un mur par artiste... Ils vont par deux : façade et retour sur placette au niveau du sol et deux pignons contigus à équiper. Nous sommes quatre pour l'instant, Mario Belèm, Tinho, Stinkfish et moi même, nous serons rejoints plus tard par Wenna, une jeune et talentueuse artiste chinoise. Il y a aussi un mur plus important en taille. Je suggère de garder le grand mur pour une œuvre collective, Mario propose un tirage au sort, je récupère le mur pignon à l'entrée du village, il est plutôt bien placé quoique pas facile à traiter, ça va encore être sportif... 
Après le déjeuner et une petite sieste réparatrice c'est la cérémonie d'ouverture avec nombreux discours traduits en anglais, enfin presque tous... puis le pot d'accueil avant le dîner. C'est tout un rituel de trinquer dans le coin et y sont pas fainéants pour lever le coude, et à la tienne et à la mienne, et je fais le tour des tables... sont plutôt arrondis quand la soirée de gala commence !
Lundi. - C'est pas encore aujourd'hui qu'on va se mettre à bosser, il y a une visite prévue de villages aux alentours. C'est fort joli sauf qu'il se met à pleuvoir, alors le dernier village c'est plutôt gadoue land... N'empêche, c'est vraiment sympa d'être ici dans la montagne.





Dans la vie l'important c'est de sourire...
Au retour et après le lunch (on rigole pas avec la bouffe...) c'est l'attribution du matériel. Il pleut tout l'après-midi mais j'obtiens du papier et du scotch, yapuka ! Une fois tout assemblé, avec l'aide la dame du restau/bar me donnant spontanément un coup de main, je me mets à la projection et au dessin d'un panda de forte taille et de feux d'artifices, ce sera sur ce thème que je traiterai le mur.

Mardi 4. - Bon vous aurez compris : petit-déjeuner, déjeuner, dîner marquent le rythme de la journée, nous avons d'ailleurs des tickets pour tout le séjour, et classés dans l'ordre svp ! Bref le matin atelier découpe avec "Toyota", un gars du staff plutôt dégourdi. C'est aujourd'hui que l'on doit m'installer un échafaudage, je vais jeter un œil comme conseillé et je fais bien. Tout de traviole le bazar avec les pieds enfoncés dans la glaise qui descendent à chaque montée et quand je parle de montée on arrive péniblement à 1m 50 avec un mur qui en fait au bas mot cinq ou six ! Je dis gentiment aux gars que ça va pas aller, ils n'ont pas l'air surpris, ça coûte rien d'essayer...
M'improvisant chef de chantier je mets aussi la main à la pâte pour caler et rehausser, tout se passe bien, les gars apprécient que je sois sur le coup et c'est très sympa, j'aime bien mes frères les prolos ! Mon absence qui devait durer 10 mn s'est transformée en 1h 30, l'après-midi est bien avancé et je me réjouis que tout soit en place pour demain... Je croise Lin, l'assistante qui m'annonce qu'il faut démonter l'échaudage pour la nuit à cause des voleurs ! Au début je crois qu'elle plaisante, que nenni, c'est du sérieux ! Bon, vous connaissez tous mon tempérament serein et fataliste... bref Lin va voir le proprio du matos et l'affaire est réglée, sacré coup de chaud tout de même ! Pour fêter cela nous allons mettre en place le pochoir du panda, youpi !


5. - Fête au village


Mercredi 5. - Après avoir installé les grandes lignes du panda, aujourd'hui c'est la mise en peinture. Dans l'après-midi une excursion/rando est au programme, la météo prévoyant du mauvais temps pour les prochains jours notre forfait est accepté pour faire avancer les chantiers en extérieur. J'ai un nouvel assistant, Ray, qui fait partie des volontaires. Un brin en surpoids et ayant le vertige, le pauvre, pour lui ce sera une journée mémorable ! Aussi fébrile que motivé, il décline mes propositions de pause : "It's my job" est son leitmotiv, alors je ruse en lui proposant régulièrement des tâches au sol. Nous mettons en place les feux d'artifice, ça nous prend du temps et son aide est précieuse.
Je le libère pour terminer le panda en solo, il semble soulagé. En fin de journée je fais démonter l'échafaudage, ce n'est pas mal mais le panda flotte un peu et c'est assez naïf, je ne suis pas pleinement satisfait du résultat mais les gens, y compris le curateur, ont l'air d'adorer, c'est le principal.

Mes pochoirs sont arrivés, j'ai la désagréable surprise de voir mon tube de transport explosé. Décidément Air France n'aura pas fait les choses à moitié après avoir différé le départ de ce bagage et refuser de me le livrer sur mon lieu de résidence... Je ne vais pas me gâter l'humeur pour ça et puis j'ai mes pochoirs alors je suis tout de même content, mais y'a d'la réclamation dans l'air !
Livraison de dragon...

En fin d'après-midi une certaine effervescence est palpable dans le village. Une soirée folklorique est offerte par ses habitants qui semblent tout émoustillés. A la nuit tombée les tambours grondent et les pétards explosent de partout. Apparaît un long dragon animé par de jeunes hommes vêtus de jaune. Après un tour sur la place, accompagné de musiciens il serpente dans les ruelles du vieux Xucun. Les ombres portées sur les façades séculaires, la fumée des explosifs et la lumière rougeoyante des lanternes apportent une touche féérique et mystérieuse ! Deux énormes têtes de dragons portés par des danseurs ferment la marche à grand renfort d'orgues à bouche, cymbales et tambours.



  
Et toujours cette pétarade étourdissante, cette foule joyeuse. C'est tout bonnement magique de dépaysement. Je me retrouve littéralement foudroyé de bonheur et d'émotion, irradié de la tête aux pieds d'une énergie quasi extatique qui circule dans tout mon corps ! J'en ai les larmes aux yeux, quelle chance d'être ici et de pouvoir vivre des moments pareils.

Sûr qu'après ça le spectacle bien que sympathique semble un peu plus fade, mais les numéros s'enchaînent gaiement et j'ai le plaisir de retrouver sur la scène quelques têtes du voisinage.


 

6. - Conception grand mur

Jeudi 6. - Je fixe le panda en bombant une ligne séparant la zone peinte en haut du mur de celle dégradée en bas, ça renforce l'effet montagne recherché. Quelques feux d'artifice supplémentaires seront les bienvenus, j'y reviendrai... Les autres artistes avancent bien sur leurs murs respectifs. Après déjeuner, nous organisons une réunion de travail, pour la thématique nous apprenons par Wenna que c'est bientôt la fête de la Lune avec toute une mythologie autour de dieux, de dix lunes, d'un moine archer, d'amours impossibles, de Voie lactée, de ponts d'oiseaux et d'un lapin !
Tinho... De la réflexion naît l'action !
Rien que ça, et puis comme si c'était pas assez bah il y aura des panthères... Je les mets en place derechef, une grande au sol, l'autre, plus petite dans les nuages. J'ai commencé à distribuer les cadeaux ramenés de France. Dans une grande loyauté Lin s'inquiète si le curateur a eu les livres que je lui offre, je la rassure. De même Chi, une autre assistante qui assure les traductions en anglais, me demande immédiatement si Lin a reçu des cadeaux elle aussi... ça dénote un bon état d'esprit et pas mal d'altruisme et c'est l'ambiance générale de cette résidence.
Le soir nous bénéficions d'un concert de piano solo en plein air, Liszt et Chopin nous accompagnent sous la voûte étoilée, instant magique ! Ci-desous Wenna, Stinkfish et Mario Belèm au boulot.








7. - Funérailles


Vendredi 7. - Après une bonne nuit peuplée de rêves agréables je vais mettre la couche d'accroche aux panthères. Comme dit si bien Régis avec l'humour qui le caractérise : "L'organisation du festival fait vraiment bien les choses !"... car aujourd'hui il y a des funérailles au village. Tout commence de bonne heure avec des détonations puis beaucoup de musique. Le début de la cérémonie n'a rien de passionnant hormis la famille en blanc et quelques énormes couronnes de fleurs devant la porte de la défunte de 76 ans (nous l'apprendrons plus tard). De toute façon j'ai du boulot sur le mur collectif et l'heure du lunch avance à grands pas. 
En début d'après-midi une pluie diluvienne tombe durant quelques heures que je mets à profit pour dessiner et découper un complément de feux d'artifices pour le panda. La pluie cessant la cérémonie reprend et je ne peux résister à la tentation d'y assister, comme une bonne partie des habitants du village rassemblés le long de la route détrempée. Un artificier en éclaireur ponctue de pétards crépitants les allers et retours en boucle d'une procession ouverte par un orchestre composé d'un trombone, d'une trompette, de deux orgues à bouche et de plusieurs tambours. Suit la famille avec des coiffes blanches, pointes en avant pour les femmes et en arrière pour les hommes. Des sur-pantalons blancs complètent la tenue.






Des brassards sont distribués à l'ouverture de la cérémonie. Un homme en début de cortège porte un arbrisseau. Sur de courts mais trapus bâtons des hommes marchent pliés, ce sont eux qui tirent le corbillard orné d'un dragon. Viennent ensuite des participants de diverses générations portant qui des oriflammes de papier, qui des sortes de lanternes argentées. Les porteurs de couronnes sont suivis par les pleureuses en fin de cortège. Un chien est de la partie... Après trois ou quatre rotations allant du porche de la maison à une table dressée de nourriture le convoi s'ébranle en fanfare et pétarade. Le cortège s'arrête très souvent. L'ambiance est festive mais ce n'est tout de même pas la franche rigolade, ça peut se comprendre...




A la sortie de ce village de montagne ça commence à grimper sérieusement. Des costauds viennent aider les tireurs que je retrouverai prosternés lors de la suite de l'ascension qui s'effectue par des porteurs dans un raidillon aussi sévère que glissant, le tout en musique et déflagrations... Le cadre est exceptionnel avec le relief à l'horizon magiquement éclairé par la lumière rasante d'un soleil déclinant, le ciel est d'un bleu lavé par la pluie !
Je me sens un peu gêné d'être là, l'appareil photo en bandoulière, comme une pièce rapportée... Mais un homme me fait signe de poursuivre, alors ma curiosité l'emporte sur mes scrupules et je continue jusqu'au lieu de sépulture, un caveau de briques enterré dans un champ de maïs.


Je rejoins Régis et Marc tous deux vêtus de rouge, la couleur de la chance et du bonheur, complètement décalée en la circonstance... Régis et moi restons en retrait parmi les musiciens ; Marc finira par être invité à rentrer dans le caveau.



Photo : Marc Baufrère
Compte tenu des rires qui l'accompagnent nous ne saurons jamais si c'est un façon détournée de lui faire comprendre une proximité excessive et déplacée ou bien l'expression une fois de plus d'une extrême gentillesse. Sur cette interrogation je décide de redescendre pour reprendre mes travaux de peinture. Sur le chemin du retour je croise les artificiers, ils sont fins prêts. Régis me raconte la fin des funérailles : tandis que les proches sautent par dessus un feu allumé au milieu de la route avant de rentrer dans la maison pour trinquer, les autres convives mangent dehors des pâtes avec sauce préparées dans d'énormes gamelles. On finit le stock de pétards, au loin les détonations redoublent de plus belle.